Par Louise Gauthier
Le message est le même depuis des lunes. Celui qu’on appelait le Grand-père, William Commanda dit Ojigkwanong, chef spirituel des Amérindiens d’Amérique du Nord, un ami du Dalaï Lama et d’autres grands pacificateurs, invitait à chaque année des représentants des aînés de nombreuses communautés autochtones du monde entier mais surtout des Amériques à faire part de leurs messages aux gens d’ici lors d’un grand rassemblement spirituel, chez lui, dans la réserve algonquienne de Kitigan Zibi Anishnabeg, au bord du lac Bioti, à Maniwaki. Ce rassemblement avait lieu à chaque année à la première fin de semaine du mois d’août. Et, sauf pour un orage parfois, il faisait toujours beau!
LE RASSEMBLEMENT
Tous y étaient bienvenus. Il n’y avait qu’à laisser un don en partant. Tous campaient ; les tentes cordées sur le terrain du grand-père, près de la petite route de terre. Tous s’y mêlaient : blancs, rouges, noirs, jaunes, enfants, jeunes, adultes et vieux. C’était trois jours en territoire algonquien, à vivre au rythme des prières, des cérémonies et des enseignements, au son des tambours et des chants.
Les invités provenaient d’un peu partout et représentaient parfois toutes les races même si la majorité était, surtout les premières années rouge. L’assistante du grand-père était Indienne (des Indes), et lors des sessions d’enseignement, il se retrouvait souvent entouré de divers chefs spirituels de communautés des plus diverses en provenance des États-Unis, du Mexique, de Bolivie, du Pérou, etc. Certaines années le rassemblement a joui de la présence de leaders spirituels d’Europe, d’Afrique ou d’Asie. Le tout se passait en trois langues : français, anglais et espagnol. Des traducteurs bénévoles effectuaient la traduction. Les enseignements avaient lieu sous une grande toile où on avait placé des chaises, à l’ombre, au bord du lac où s’ébattaient les huards et les martins pêcheurs.
Sur la pointe, à l’ombre de grands arbres, on avait installé un grand cercle de bancs de bois. Au centre de ce cercle brûlait continuellement le feu sacré que le chef des gardiens de feu des communautés algonquiennes, Peter Da Conti, tenait en haleine tout au long des trois jours. À chaque matin, vers 5 h, les porteurs de pipe (les porteurs de la tradition) des différentes communautés qui se trouvaient à être présents sur le site procédaient à la cérémonie du lever du soleil. Ils parlaient, livraient un court message et priaient. On fumait la pipe, on buvait l’eau, on mangeait les petits fruits. Tout cela pour remercier la Terre mère et le ciel, le Grand Esprit, pour tout ce qu’ils nous donnent afin de maintenir la vie sur cette planète et de nous nourrir de toutes les façons. Pour que nous sentions et que nous portions en nous les dons de l’amour de l’Univers. Tout se déroulait lentement dans une sorte de révérence.
Les anciens livraient une session d’enseignements en avant-midi et, en après-midi, il pouvait en plus y avoir certaines cérémonies : une cérémonie du nom, un cercle de parole, une session de guérison avec une personne médecine (ce que nous appelons un chamane) ou un des porteurs de pipes présents. Des grands-mères regroupaient quelques personnes ici et là sur le terrain de la pointe et donnaient leurs enseignements. Des porteurs et porteuses de cérémonies de hutte de sudation offraient des cérémonies à qui voulait bien. Il y avait au moins deux cérémonies continuellement en activité jusqu’au soir et parfois même la nuit.
Le soir, les gros tambours de fête résonnaient et les chanteurs traditionnels faisaient monter leurs chants. On dansait en cercle autour d’eux sous un abri circulaire au toit de sapinage et de cèdre. C’était le même abri qui avait servi pendant l’avant-midi et l’après-midi à réunir les enfants autour de conteurs traditionnels et d’activités de bricolage avec des éléments naturels. À minuit, silence jusqu’au lendemain.
LE WAMPUN
Maintenant décédé, le grand-père (âgé de 94 ans sur cette photo) était le premier à livrer son message lors des périodes d’enseignements qui avaient lieu en avant-midi de chacun des trois jours que durait le rassemblement. Il exposait alors ses wampums, des ceintures de perlage dont il avait hérité des anciens en 1970, de son arrière grand-père Pete Tenesco qui, lui, en avait hérité d’un fameux Pakinawatik et dont il sera le gardien jusqu’à sa mort. Ces wampums datent des années 1400 et le principal d’entre eux illustre la prophétie des sept feux, un message qui nous fait prendre conscience des choix que nous avons en regard de notre relation avec chacun et avec la totalité des êtres vivants sur la Terre-Mère. Serons-nous guidés par les valeurs du partage, de l’équilibre et de la coexistence harmonieuse ? Cette histoire est une partie importante de la tradition orale autochtone non seulement algonquienne mais presque générale. On la retrouve notamment chez les Ojibwe ainsi que chez plusieurs autres tribus de l’île de la Tortue (Les Amériques). Le grand-père Commanda a même retrouvé à peu près la même histoire chez les Sud Africains sous une autre forme. Ici, la bande de perles de couleur bleue presque unie où se démarquent des losanges de perles blanches illustre cette histoire.
LA PROPHÉTIE DES SEPT FEUX
La prophétie annonçait l’évolution de l’histoire des peuples autochtones des Amériques à la suite de la venue de peuples nouveaux sur leurs terres. Elle a été apportée aux Autochtones par sept prophètes, dont deux d’entre eux sont apparus ensemble comme un seul. Ces prophètes ont décrit les transformations majeures qui devaient survenir chez les peuples premiers à différentes époques. Elles se sont avérées.
Le premier prophète parlait d’une époque où les gens menaient une vie sécuritaire et simple. Le second annonçait un danger qui devait venir sur leurs terres. Le troisième annonçait à ceux qui n’avaient pas pris leurs précautions et qui n’avaient pas déménagé leurs pénates loin de ce danger qu’ils seraient détruits. La quatrième prophétie a été annoncée par deux prophètes et leur message contenait une dualité : ils parlaient de la venue des visages pâles et l’un d’eux disait qu’ils pouvaient avoir l’air amicaux. L’autre les avertissait qu’ils pouvaient cependant être des ennemis sous l’apparence d’amis. À la cinquième prophétie, le prophète donnait un autre avertissement : ne pas croire aux fausses promesses que cachent les religions. Le sixième prophète annonçait les tourments et la douleur qui dévasteraient les peuples autochtones qui se seraient détournés de leurs anciennes valeurs et de leurs modes de vie traditionnels avec la venue des nouveaux arrivants.
La septième prophétie parlait d’un temps où nous devrons tous faire un choix : ou bien nous maintenons l’exploitation de la terre et des gens ou bien nous choisissons de renouveler le respect de la Terre-Mère et nous nous réconcilions tous, nouveaux arrivants et peuples autochtones. La double pointe de diamant du centre du wampum reflète cet espoir que l’unité émergera enfin de la dualité.
LE HUITIÈME FEU
Le septième feu est le temps du choix. Nous y sommes. Si nous voulons un huitième feu, il devra être un feu d’amour, d’harmonie entre les peuples, de simplicité de vie dans le respect des limites des ressources de la Terre-Mère, d’un partage équitable de ces ressources, des choix autant individuels que communautaires que nous ferons pour atteindre ces objectifs de paix, d’amour et d’harmonie. Devrons-nous attendre de constater ce que dit cette prière que cite le grand-père et qui parle du temps de non retour :
Seulement après que vous aurez coupé le dernier arbre
Seulement après que vous aurez empoisonné la dernière rivière
Seulement après que le dernier poisson aura été pris
Seulement alors, vous réaliserez que l’argent ne se mange pas.
Il faut prendre le chemin rouge, le chemin du cœur, se souvenir de ce que les ancêtres savaient et le mettre en pratique. Nous devons nous souvenir que nous sommes les enfants de la Terre et de l’Esprit, du Grand Esprit, nous devons transmettre ces valeurs et ces connaissances aux nouvelles générations afin que l’ignorance qui prévaut actuellement disparaisse.
Il est temps de mettre en pratique les nouveaux trois R : respect, responsabilité et révérence pour notre Terre-Mère. Il ne suffit pas de travailler en environnement avec la technologie, il faut aussi faire tourner la roue de médecine : penser avec le cœur. Il faut avoir en dedans de soi la vision d’un lieu où tous sont dans la générosité et le partage, faire sauter les frontières. Nous sommes tous unis et connectés, tous un. Il est grandement temps de changer de paradigme : sortir de la domination et de l’exploitation, cesser de considérer la Terre comme une commodité, une source d’exploitation. Les traditions des peuples autochtones nous prient de prendre soin de la Terre-Mère. Déjà « nos eaux et nos terres sont malades et nous avons de la difficulté à respirer l’air » dit le grand-père.
Le message du wampum est clair : notre choix actuel est essentiel à la survie de la race humaine sur Terre. Peu importe les suppléments ou les saines habitudes alimentaires ; si l’être qui nous supporte et nous nourrit, la Terre-Mère, est polluée par notre avidité frénétique, nous n’aurons pas la santé, nous n’aurons même plus la vie. Construisons en nous la vision d’espoir, posons nos choix en conséquence et transmettons cette vision et ce savoir pour qu’il y ait un huitième feu.